Titre : Le Miroir
des Yeux d’Argent
By Lord Ma-koto Chaoying
(Heath's POV)
Souvent, je reste là, sous les étoiles.
Seul, livré à moi-même, pour songer à la solitude
qui est mienne, la solitude que c’est d’être un paria pour ceux qui étaient vos
compagnons, et, pour le monde.
La solitude… d’un chevalier paria.
Seul, face au monde, il doit affronter la réalité
qui l’entoure, lorsque cette réalité est celle de sa faute sur le monde.
La faute de n’être pas un vrai chevalier, et
d’être... un chevalier.
La faute éternelle de tous les crimes qu’il n’aura
su prévenir.
Parfois, je me demande si ce n’est que mon orgueil
qui parle et jamais mon cœur. A moins que les cœurs ne soient jamais faits que
d’orgueil ?
A moins…
…que mon propre cœur ne soit jamais fait que
d’orgueil…
Que… mon propre cœur…
Ne soit…
Une ombre bouge.
"Toujours en train de réfléchir ? Vous ne devriez
pas trop penser, ce n’est pas sain, vous savez ?"
Je sursaute à la voix, doucereusement familière.
Ah !
Diable !! Ce voleur du Black Fang !! Il m’a ENCORE
surpris !!
Comment fait-il pour surgir
de nulle part comme cela ?! Un jour, je le jure, je vais le tuer avant de me
rendre compte que ce n’est pas un assassin envoyé pour me tuer !!
Un long mouvement de cape clôt l’apparition
légère, mais pourtant… frappante, au fond. Même… majestueuse, d’une certaine
façon…
Quels sont les secrets qu’elle porte ?
Ses yeux d’argent étincellent, sous le regard de
la lune blanche. Il caresse légèrement ses longs cheveux lavande retenus par un
bandana, avant de poser sur moi son étonnant regard gris.
"Je vous ai surpris, on dirait."
Le diable l’emporte, lui et ses répliques hors
sujet !!
Je réplique, sarcastique.
"Quel sens de l’observation, Legault."
Etrange visage que le sien. Il laisse entrevoir
peu d’émotions, et celles qui sont visibles sont loin d’être transparentes.
Même l’amusement que je vois pile à cet instant dans son expression, qui fait
place à son regard gris si étonnamment perçant.
"Vous vous souvenez de mon nom…"
Encore une de ces réponses hors de propos ?! Le
diable l’emporte !! Et… il se pourrait que je l’y aide, un jour !!
Je vais lui sortir une réplique aussi sarcastique
que la première, mais soudain, je remarque l’étrange expression qui a pris
place sur son visage. Pour la première fois, je remarque que la brillance
anormale de ces yeux argentés n’est plus métal, mais argent, et qu’une lueur
humaine semble transparaître dans ses étonnants dons pour lire les personnes.
Je… ne comprends pas.
Pourquoi serait-il content que je rappelle son nom
? Ma parole aurait-elle tant de valeur, pour que moi, pauvre soldat déserteur,
chevalier raté de l’armée de Biran, je compte pour
quelqu’un ?
Je ne suis rien pour personne ! Je ne suis rien
pour tous les chevaliers et les civils du monde !
Pourquoi serais-je beaucoup plus pour un simple
petit voleur ?!
Il se déplace autour de moi, contemplant les
fleurs de la nuit dont la beauté dort sans jamais mourir. Ses pas sont si
souples, si légers, si élégants, on dirait qu’il vole quand il marche. Mais il
y a quelque chose qui me frappe, en lui, et je sais… que ce n’est pas seulement
sa démarche si étonnante, si aérienne. Qui…
"Heath, vous semblez perplexe. Pourquoi ne
pas exprimer ce que votre cœur brûle de demander ?"
Le diable l’emporte, lui et… son don de lire en
moi !!
Très bien, puisque c’est comme ça, je lui
parlerai. Je lui poserai la question que je peux lui poser, qui me taraude les
lèvres.
"Je me demandais simplement… puis-je vous
poser une question ?"
"C’est déjà fait. Néanmoins, vous posez en
poser une deuxième, j’y répondrai dans la mesure du possible."
Le diable… l’emporte.
"En fait, j’en ai bien plus que cela ! je m’écris. Et puisque vous aimez tant vous railler de moi,
je vous les poserai quand même, même si vous avez le droit de ne pas répondre
!! Et si vous osez disparaître avant de les écouter… c’est moi qui vous ferai
disparaître avant !! Ou après, c’est tout comme
!!"
Il rit légèrement. Je ne l’avais jamais vu rire
encore… il y a quelque chose d’argentin dans ses yeux. Leur couleur grise n’est
plus seulement métallique et perçante, mais… plus humaine, plus joyeuse. C’est
étonnant, c’est tellement plus beau, plus humain, que cela ramène une sorte de
paix en moi, que je croyais oubliée depuis que je suis un chevalier paria. Ma
colère n’est que factice…
"Je ne disparaîtrai pas avant de cueillir ce
que ce je cherche, Heath. Surtout pas quand cela va m’être donné…"
Je me plante bien devant lui, mes yeux
l’assassinant presque du regard, mais plus par jeu qu’autre chose. Aujourd’hui,
pour une fois, je ne tuerai personne comme un criminel.
"Je ne comprends rien à ce que vous dites –
comme d’habitude, remarque –, mais cela m’est complètement égal, vu
qu’aujourd’hui, c’est moi qui vous pose des questions. Et la première
est…"
"Oui ?"
L’amusement transparaît dans ses yeux.
Je vais lui apprendre, moi !
"Quand allez-vous cesser de parler en énigme
?!"
"Lorsqu’elle sera résolue."
"Ensuite, quelle est cette énigme dont vous
parlez ?!"
"Vous et moi, nous et le monde."
"Troisième question, qu’ai-je à voir dans
cette énigme ?!"
"Une place si importante que vous ne la
saisissez pas vous-même."
"Quatrième, quand cette énigme sera-t-elle
résolue ?!"
"Dieu seul le sait."
"Et enfin… qui êtes-vous ?"
Il s’arrête de contempler le ciel, et
soudainement, me regarde de ses yeux d’argent exceptionnellement frappants.
Mais tout est frappant chez lui, absolument tout. Mystique, mystérieux, secret,
insaisissable…
Sa belle voix lisse sort de ses lèvres, dans des
paroles plus qu’étranges.
"Vous me l’apprendrez…"
Devant la réponse, je reste pantois, avant…
d’éclater de rire. L’instant d’après, c’est trop tard, je me suis rendu compte
que je n’ai pas ri depuis si longtemps…
Trop longtemps, peut-être…
"Qu’y-a-t-il, Heath
? Pourquoi riez-vous ?"
Il hausse un sourcil, mais ne semble pas vexé du
tout. Amusé, plutôt. Je décide de frapper un grand coup. Il me doit une
revanche pour m’avoir quitté l’autre fois sans répondre à mes questions. On ne
traite pas comme cela un chevalier ! Encore moins un cavalier Wyvern !
Je me plante devant lui, le regard décidé.
"Vous êtes incompréhensible, bizarre,
lunatique, totalement hors de propos et particulièrement collant…"
"Votre franchise m’est si douce."
"…mais il y a quelque chose de particulier en
vous, qui me touche et qui fait que je ne suis plus le même en votre présence,
sans que je ne comprenne pourquoi. Je ne sais pas qui vous êtes, je ne sais pas
ce que vous faîtes là, et je ne sais pas ce qu’est cette chose qui vous habite
et qui m’aide à trouver ce que je cherche si profondément, mais… je finirai par
le trouver !! Sur mon honneur de chevalier, je le trouverai, et aucun de vos
tours de passe-passe ne prendront au dépourvu !!"
Le temps s’arrête.
Son regard est… indescriptible.
Tout comme le sentiment qui se bouscule en mon
cœur, au regard de cette émotion que j’ai palpée chez lui…
Pour le monde, pour les yeux du monde qui ne regardent
que la façade des choses, aucun trait de son visage n’a bougé, et Legault est un criminel qui souille le monde de sa
présence. Il n’est pour eux qu’un être indigne et futile, parfois frivole,
toujours dangereux.
Pour moi, c’est celui qui a reçu mon cœur – et
toute l’humanité du monde avec.
Artiste de l’ombre… qui êtes-vous réellement ?
Il s’est approché. Il effleure presque de ses
doigts aquilins ma main posée sur la pierre, puis, dans le même instant, il
s’est légèrement reculé en me regardant, avec un sourire que je ne comprends
pas, mais à la douceur humaine. Très humaine.
Si humaine qu’il a fermé ses yeux.
Est-ce qu’un voleur ferme les yeux ?
Mais tout de suite je vois l’éclat argenté briller
de nouveau, empli d’une douceur que je n’ai jamais vue chez un homme, et encore
moins un homme prétendant venir d’une terrible organisation criminelle.
"« Chevalier tu es né, chevalier tu seras
»…"
La tonalité de sa voix offre une nouvelle mélodie
!
"…ce proverbe était vrai."
Je me raidis.
Comment pourrais-je accepter ce que je ne mérite ?
Comment pourrais-je mentir à la face du monde, alors que je ne peux même pas
mentir à celui dont les yeux d’argent scrute la vérité au fond de mon cœur ?
Comment… le pourrais-je ?
Ma voix est catégorique, douloureuse, décidée.
"Je ne suis rien. Je ne suis qu’un chevalier
indigne aux yeux de bien des guerriers. Rien de plus."
Son regard d’argent devient si profond, alors
qu’il me scrute en silence, mais il n’y a pas de mépris en lui. Soudainement,
il s’approche de sa démarche légère comme le ciel, et… ses doigts aquilins
effleurent mon épaule. Je cligne des yeux, un peu étonné. C’est la première
qu’il y a un contact physique entre nous (il est si mouvant que je n’aurais
jamais réussi à l’atteindre de ma lance lorsque je le prenais pour mon assassin
!), mais à mon plus grand étonnement, mes muscles se détendent, au lieu de se
raidir sous la peur ou la colère.
Qui est-il vraiment ?
"Vous…"
Ses doigts approchent de l’endroit où bat mon
cœur. Ils sentent son émotion…
"Je vois, murmure-t-il. Vous n’avez pas
confiance en vous…"
"Et bien sûr, comme par hasard, vous, vous
auriez confiance en moi ?!"
Il rit encore. C’est la deuxième fois seulement
que je le vois rire, mais déjà je connais ce rire depuis toujours. Mais je n’ai
pas le temps de m’attarder sur la pensée de ce son argentin qui motive mon
cœur, qu’il pose ses étonnants yeux gris sur moi, si sérieux en cet instant.
Je vois l’argent y briller !
"Si étonnant cela dût-il vous paraître… oui,
Heath, j’ai confiance en vous. Plus confiance en vous qu’en le commun des
mortels, et pourtant j’ai vu beaucoup de mortels à l’heure de leur mort. J’ai
plus confiance en vous qu’en… moi."
Tous les plus grands guerriers de Biran me méprisent, tous les chevaliers du monde ne me
feront plus jamais confiance, le monde me hait, et, lui…
Comment peut-il une telle chose ? Comment peut-il
croire qu’il y a quelque chose en moi, alors que moi-même, je…
"Des mortels… à l’heure de leur mort ?! Que…
voulez-vous dire ?"
Cet homme… est tellement mystérieux.
"Il est trop tôt encore pour le dire, Heath.
Trop tôt…"
Trop tôt pour… quoi ?!
"…bien trop tôt. Car…"
Déjà, il s’éloigne ! Il va… partir ?!
Pas maintenant !! Pas maintenant, alors que je
commence à comprendre tant de choses !!
"…j’ai encore besoin de vous, et si je vous
le disais, vous ne voudriez plus jamais avoir besoin de moi."
Il me regarde, et ses yeux gris sont argentés de…
tristesse.
Legault, quels sont les secrets que vous portez ? Quel est le
fardeau qui vous pèse si lourd, pour que vous soyez venu à un chevalier sans
honneur ?
"A bientôt, Heath."
Il s’est
envolé !
*