Le Rouge et le Vert

By Lord Ma-koto Chaoying

 

Chapitre 2 :

Kent et Saïn étaient comme le jour et la nuit. Mis à part leur cheval, leur « métier » de chevalier, les armes qu’ils portaient et leur dévotion à Lady Lyndis qu’ils servaient, ils étaient totalement différents. Kent était roux, avait des yeux couleur de cuivre emplis de gravité et ne souriait jamais. Saïn était brun, avait les yeux noisette pétillant de fougue et un sourire éternel ses lèvres. Kent était la raison personnifiée, le froid et calme stratège qui remettait les choses en place. Saïn était la passion incarnée, l’insouciant si enthousiaste qui aimait toujours ponctuer les moments des mouvements impulsifs de son cœur. La nuit, le jour. L’un à l’armure rouge, l’autre avec son armure verte…

Le Rouge et le Vert.

Tous les cavaliers et cavalières qui avaient suivi la formation avec eux, sous le bataillon de Cozoar avec comme capitaine et professeur le grand général Zorphéas, s’étaient toujours demandé avec perplexité comment deux êtres aussi différents pouvaient s’entendre comme ils s’entendaient. Partout où ils allaient, et chaque fois qu’on les voyait, ils étaient ensemble. Avec Kent qui ne riait jamais et reprochait avec sévérité à Saïn ses bêtises, tandis que ce dernier haussait les épaules avec un sourire et sortait une excuse minable… mais ils étaient ensemble, toujours ensemble quand même, toujours deux par deux.

Kent et Saïn étaient très forts. C’étaient même les plus impressionnants cavaliers combattants du bataillon, et sans doute pas seulement du bataillon. Leur aisance à combattre à cheval les avait tout de suite mené à entrer dans la cavalerie plutôt que dans les autres domaines. Kent avait une manière bien caractéristique de porter ses armes en se tenant à cheval. Précision, calme, mesure de ses gestes – mais sans un seul de trop ; une élégance calme et souple qui imposait le respect par son sang-froid. Excellent en défense, c’était le « Bouclier Rouge ». Saïn semblait son opposé pour le style de combat (comme pour le reste d’ailleurs, mais ça, je suppose que vous l’avez remarqué). Ses mouvements respiraient l’énergie, la grâce exubérante de son caractère, la force de vivre ; une beauté ardente et joyeuse qui imposait l’admiration par son énergie. Excellent en attaque, c’était la « Lance Verte ».

On les appelait aussi parfois « La Sainte Armure de Caelin ». Mais une armure est toujours composée d’un bouclier et d’une épée. Et, comme vous vous en doutez… Kent était le « Bouclier Rouge » de la Sainte Armure, Saïn la « Lance Verte ». Il faut préciser que cela tenait autant à la couleur de leur armure qu’à certaines anecdotes…

(Flash-back…)

"Saïn, combien de fois devrai-je vous le répéter ?!"

"Mm… disons, un million de fois ?"

"Saïn, vous comprenez très bien ce que je veux dire. Je sais que la lance est votre arme de prédilection, mais il est…"

"...de mon devoir de m’entraîner à l’épée pour y être aussi performant, je sais, mon cher Kent."

"Vous le savez, en plus. Cela rend votre faute impardonnable."

"Keeeeennnt !! Pourquoi me faites-vous toujours la morale ?!"

"Si vous vous la faisiez vous-même, je n’en aurais nul besoin."

"Bah, tant que vous êtes pour ça, je peux m’en passer !" (Grand sourire de la Lance Verte)

"…………… Saïn, votre bêtise est affligeante."

"Je le prends comme un compliment. Merci, Kent !"

"Ce n’était pas un compliment."

"C’est pour cela que je le prends comme tel."

Et forcément, ça finissait mal devant les supérieurs…

"SILENCE DANS LES RANGS !! Capitaine Kent, j’attendais mieux de votre part !! Vous me ferez 2 jours pour avoir parlé pendant l’inspection."

Le Bouclier Rouge était bien trop discipliné pour protester.

"Oui, mon général."

Quant à incriminer de quelque façon que ce fût son compagnon, il n’avait jamais pu s’y résoudre. Si insouciant et impétueux était Saïn, c’était le frère d’arme qui prenait toujours soin du moindre besoin de son cœur, et un chevalier ordinaire n’aurait jamais trahi son frère d’arme. Pour Kent qui était 150 pour centchevalier, la question ne se posait même pas. Ce que ne pouvait accepter la Lance Verte.

"Général ! Non, général !"

Le Bouclier Rouge tenta de faire taire son impétueux ami en lui donnant un coup de coude, mais dans des conditions comme ça, personne au monde n’aurait pu y arriver…

"Capitaine Saïn !! Depuis quand prenez-vous la parole sans…"

"Général, ce n’est pas Kent qu’il faut punir ! C’est moi !"

"Saïn !! souffla Kent. Taisez-vous, par pitié !! Je vous en conjure !! Inutile que nous soyons deux à…"

Mais le général Zorphéas l’avait vu parler.

"Comment ?! Capitaine Kent, il me semblait vous avoir dit de ne plus parler !! Que vous arrive-t-il, aujourd’hui ?!"

Le chevalier à l’armure rouge avala sa salive, gardant pourtant sa dignité.

"Mon général, j’ai fait à deux reprises une faute que je n’aurais pas dû faire. Veuillez me punir en conséquence."

Mais essayez toujours de calmer une Lance Verte…

"Général Zorphéas, Kent raconte n’importe quoi !!"

"Capitaine Saïn !! Cela suff…"

"C’est moi qui ai fait la faute !! Euh, non, les deux, puisqu’il a dit qu’il y en avait deux !!"

!! Bong !! (C’était le bruit de la protection en fer de la main de Kent, percutant son front dans un geste de désespoir)

"Saïn, votre bêtise est affligeante…"

"Parlez pour vous, Kent !! Vous vous obstinez toujours à tout prendre sur vous alors que vous n’êtes même pas le fautif !"

"Saïn, allez-vous faire revenir Kent de Caelin sur sa parole ?! J’ai juré au général que j’acceptais la punition conséquente à mes fautes !!"

"Sauf que, petit détail, mon cher Kent, vous n’avez PAS de fautes. Et que, par conséquent, sans vouloir offenser votre intelligence, vous ne pouvez avoir de punition !! D’autre part, il y n’a pas que vous qui n’ayez qu’une parole !! Moi aussi, j’ai juré au général que j’acceptais d’être puni !!"

"Saïn !! Je refuse que…"

"Kent, allez-vous faire revenir Saïn de Caelin sur sa parole ?!"

"AH-HEM…"

Dans leur dispute, les deux chevaliers ne s’étaient pas aperçus qu’ils avaient complètement oublié la situation présente… et, à fortiori, leur général et professeur… et que, tous les soldats les regardaient, hilares. Si la Lance Verte verdit (comme l’indiquait son nom), le Bouclier Rouge rougit (encore plus que son armure).

"Je suis confus, mon général, tout est ma faute !"

"Non, c’est la mienne, général ! Euh, les miennes, puisqu’il y en a plusieurs ! N’écoutez pas Kent !"

Ce qui eut comme effet de redoubler l’hilarité des soldats. Même le général Zorphéas avait de la peine à ne pas rire. Au lieu de quoi, il dit d’un ton où perçait l’amusement.

"Puisque vous tenez tant tous les deux à avoir le monopole de la faute, je vous invite très galamment à la partager en faisant la punition ensemble. Vous vous occuperez du nettoyage du campement et serez consignés deux jours sans permission. Rompez, soldats !!"

(Plus tard, pendant la punition…)

Tandis qu’ils astiquaient la salle des armes en silence…

"Kent…"

"…"

Frotte frotte frotte, Frotte frotte frotte.

"Kent…"

"…"

Frotte frotte frotte, Frotte frotte

"Kent !!"

"Saïn, je suis occupé à nettoyer."

Sourire amusé de la Lance Verte.

"Au cas où cela vous aurait échappé, moi aussi, Kent."

Pas troublé par cette réplique, le Bouclier Rouge continuait à astiquer le sol avec sa serpillière.

"Très bien. Alors, continuez."

Frotte frotte frotte, Frotte frotte

En désespoir de cause, le chevalier vert se planta devant son ami, posant d’un coup sec ses outils de nettoyage.

"Kent… je…"

"Plus vite nous aurons fini, Saïn, plus vite nous sortirons. Et je ne veux plus que vous…"

"Kent, je suis désolé."

Le Bouclier Rouge s’était arrêté de nettoyer, au son de la voix si triste de son ami.

"Vous… vous efforcez toujours de faire le mieux… pour les autres… pour vous… pour moi, et… c’est à cause de moi… que vous devez tout porter sur vos épaules. Même pour les bourdes les plus idiotes, c’est… encore moi qui en rajoute à votre fardeau… je suis… désolé…"

Le jeune chevalier rouge avait posé ses accessoires, avant d’entourer de ses bras les épaules de son frère d’arme, si inhabituellement triste.

"Je ne vous en veux pas, mon ami. Je sais que vous faîtes toujours de votre mieux… même s’il vous arrive d’être un peu vif et écervelé, vous agissez toujours par cœur et je vous envie votre spontanéité… c’est drôle, je ne peux pas vous voir comme cela… retrouvez votre sourire, c’est tout ce dont j’ai besoin."

"Kent…"

Pssssshhhhhhiiooooouuuu !!

La porte s’ouvrit à la volée, et apparut…

"Eh bien, soldats, dites-moi, si je vous dérange…"

Pris dans une position qui pouvait être compromettante (les bras autour de son ami), Kent devint encore plus rouge que son armure (une fois de plus !), tandis qu’il se rejetait violemment en arrière et que Saïn devenait très rouge aussi (et pas vert, bien qu’il eût une armure verte.)

"Général Zorphéas !! Ce… ce n’est… ce n’est pas ce que vous croyez !!!"

"Un bon conseil, capitaine Kent : lorsque vous et Saïn, vous voudrez vous livrer à ce genre de chose, ne choisissez pas la salle des armes pour le faire. Préférez la salle commune à des heures tardives, ou encore votre tente."

Les deux chevaliers étaient plus rouges que jamais. Il n’était pas dans l’habitude de Kent de protester, mais cette fois, il ne put s’en empêcher. Tout de même !

"Monsieur !! Je… ce… je… jamais… ce n’est…"

Une voix tonitruante l’arrêta, accompagnée d’un rire aussi tonitruant qu’elle.

"Vous devriez voir votre tête, Kent. On aurait dit la fois où, pendant la permission, Saïn vous a ramené, une dizaine de ses admiratrices pour vous demander avec laquelle vous voudriez sortir."

"…"

Il fallut un certain temps pour que s’opéra un déclic dans la tête du Bouclier Rouge.

"…………..c’était… une plaisanterie, monsieur ?!"

Un rire tonitruant envahit la salle.

"Vous êtes beaucoup trop sérieux, Kent. Vous aurais-je annoncé que votre mariage avec Saïn que vous l’eussiez cru."

"…"

"Ne faîtes pas cette tête-là, fiston. Le sens de l’humour soit la seule chose où vous devriez prendre exemple sur Saïn."

Les deux chevaliers s’écrièrent en même temps.

"Ça, ce n’est pas très gentil, général Zorphéas !"

…en s’apercevant ensuite qu’ils avaient parlé ensemble.

"Kent !"

"Saïn !"

"Zorphéas, acheva Zorphéas dans avec humour. Vous êtes toujours très synchronisés, tous les deux. Je voudrais vous dire un mot, fistons. Et séparément, s’il vous plaît, même si je sais que vous aimez beaucoup faire bien des choses ensemble…"

"Général !!" s’écrièrent les deux chevaliers, encore plus rouges.

"Saïn, vous d’abord. Venez avec moi."

Ce dernier obéit. Quelques minutes plus tard, il était de retour. Le Bouclier Rouge n’eût pas le temps de lui demander ce qu’il lui avait dit que lui-même se fit appeler par Zorphéas.

"Kent. Suivez-moi."

(Sur la terrasse du bureau du général…)

Le silence s’était installé. Zorphéas, debout devant la barrière de la terrasse, contemplait les étoiles, rêveur. Le jeune homme, quant à lui, restait silencieux, se demandant ce qui allait lui être demandé.

"Kent ?"

"Oui, monsieur ?"

"Vous savez ce qu’on dit à propos des étoiles qui brillent dans la nuit ?"

Le jeune chevalier se racla la gorge.

"Je pense que, pour la poésie, mieux vaudrait-il s’adresser à Saïn qu’à moi."

"Voyons, fiston. Faites un petit effort en ce qui concerne vos connaissances littéraires. A mon souvenir, vous étiez meilleur que votre camarade en ce qui était purement intellectuel."

"Parce qu’il passait son temps à rêver, au lieu de travailler comme il se devait. Je suis bien placé pour savoir que sa collection de… brides poétiques est, disons… impressionnante, lorsqu’il s’agit d’amourettes sans conséquences."

"Mais c’est à vos souvenirs que je fais appel aujourd’hui, Kent. Que vous évoquent les étoiles qui brillent dans le ciel ?"

"Eh bien… des lumières, monsieur."

Zorphéas se mit à rire.

"Ou bien vous y mettez de la mauvaise volonté, ou bien vous êtes aussi peu imaginatif que le prétend Saïn !"

"Comment ?! Il a osé dire cela ?!"

"Eh bien oui, fiston ! Il a osé. Mais c’est tout notre Saïn, il ne changera jamais. C’est d’ailleurs à propos de lui que je voudrais vous parler."

"Monsieur, je suis désolé."

"Désolé ?! Pourquoi ?"

La voix du Bouclier Rouge, toujours grave, toujours sérieuse…

"Pour ce qui s’est passé cet après-midi, durant l’inspection. Si je n’avais pas…"

"Il faut accorder à Saïn une chose, fiston. Vous voulez trop en porter sur les épaules. Pour ce qui est de cet après-midi, vous savez pertinemment que je vous ai juste punis, vous et votre camarade, parce que personne n’a le droit de parler pendant l’inspection et que je ne pouvais pas faire de favoritisme, même si je vous entraîne depuis que vous êtes dans les langes, et que vous êtes comme mes enfants."

"Monsieur…"

"Mais revenons à votre camarade. Ce que je voudrais vous dire à propos de lui, est que… Kent, vous qui êtes le plus mature de vous deux, veillez sur lui. C’est un grand enfant, au fond. Saïn est un homme à présent, mais il y a un enfant en lui qui peut toujours revenir à la moindre chose. Et si un jour je devais être votre ennemi…"

"Monsieur !!"

"…et que vous deviez me combattre, je voudrais que vous usiez de votre légendaire raison pour le convaincre de ne pas suivre ses sentiments mais son devoir, en me combattant."

"Monsieur, nous sommes sous vos ordres. Nous ne pouvons que vous obéir, pas... vous combattre !!"

"Et c’est pourquoi maintenant, je vous ordonne de me combattre comme de vrais soldats si je devais être votre ennemi. Vous êtes des chevaliers. Vous devez accomplir votre devoir avant tout."

"Mais… quel est le rapport avec le fait que je devrais le dire à Saïn ?"

"Kent, vous ne comprenez donc pas ? Vous êtes le seul que Saïn écoute véritablement. Il a beau obéir en apparence à ses supérieurs, aux conventions, à l’armée, c’est un esprit libre et un cœur passionné qui n’écoute que ses propres raisons. Il se trouve qu’elles coïncident pour l’instant avec celles des chevaliers de Caelin, mais je lis nettement dans ses yeux qu’il accepte d’obéir à ses supérieurs – même moi ! – uniquement parce qu’il le veut et croit qu’ils répondent à l’idéal de son cœur de chevalier. Mais le jour où la guerre divisera notre pays, les divisions arriveront jusqu’à nous, et moult guerriers iront dans un camp adverse, par toutes les corruptions qui habitent notre monde… il se sentira trahi, et alors… il courra à sa propre perte en agissant follement."

Zorphéas tourna son regard vers lui.

"Mais vous, Kent, vous êtes différent. Vous êtes calme, stratégique, et vous suivez tout d’abord ce qui est le plus raisonnable et sage, et ce dans toutes les situations. Et… je serais étonné que vous n’ayez remarqué que Saïn vous écoute plus que n’importe qui. Là où le général le plus gradé de l’armée échouerait à le convaincre, vous… il ferait pour vous ce que vous lui demanderiez de faire du fond de votre cœur. Quand je vous avais trouvés, tous les deux, lorsque vous n’étiez encore que des bambins que l’on avait abandonné devant une porte pour mourir… vous ne souvenez pas ?"

"C’est… non, monsieur."

"C’est vrai que ce serait difficile pour vous de vous souvenir tant vous étiez jeunes. Vous étiez encore dans un panier, accrochés l’un à l’autre. Votre camarade braillait en pleurant, vous, vous le serriez dans vos bras, et il se calmait instantanément. Quand je vous ai vus, et que j’ai essayé de prendre le panier, votre camarade m’a regardé avec sauvagerie, et a essayé de me marteler de coups de poing tant il était angoissé. Alors, vous, vous l’avez serré dans vos bras pour le calmer, et magiquement, sa violence s’est arrêtée, même s’il tremblait encore. Bientôt, même, son tremblement s’est arrêté…"

Une courte pause...

"Vous, vous me regardiez avec cette gravité que l’on vous connaît toujours, qui semblait me prier de ne pas vous trahir. C’est alors que j’ai décidé de vous amener dans la seule maison que je connaissais, celle de Caelin. Je vous ai baptisé Kent et Saïn, des noms des légendaires chevaliers Kentanan et Saïnatan qui allaient par deux devant le plus grands des combats du monde, toujours deux par deux, à la vie à la mort."

"Monsieur…"

"Kentanan était réputé pour sa légendaire vision des choses, son sang-froid et son sens du devoir dans le combat comme dans la paix. Sa défense était incroyable. Saïnatan était connu pour son dévouement ardent de vie, son cœur chaleureux et empli de compassion envers le monde entier. Son attaque était sans pareille. L’un et l’autre, ils passaient leur temps à se protéger et s’entraider mutuellement, deux par deux, toujours deux par deux. Et l’on raconte que lorsque Saïnatan est mort, Kentanan est monté en haut d’une falaise, et s’est adressé au ciel, disant : « Voilà que votre âme est partie su loin que votre chaleur ne réchauffe plus mon cœur glacé. A cause de cela, mon tout dernier devoir, après tous les combats que j’ai mené dans le monde, sera de vous rejoindre lorsque cela me sera demandé. » Deux jours après qu’il se fût occupé de villageois dans la misère qui le remercièrent chaleureusement, Kentanan était mort."

Le silence s’installa.

"Kent, savez-vous comment Saïnatan est mort ?"

Le Bouclier Rouge fit un signe de dénégation.

"Kent. Il est mort, alors… alors que ses amis l’avaient trahi en rejoignant l’armée d’un seigneur adversaire, pour des raisons inconnues. Fou de douleur, il s’est enfui dans la forêt pour ne plus les revoir et avoir à les affronter, sans plus prêter attention à quoi que ce fût, et là… un soldat lui a tiré une flèche, et il est tombé dans un gouffre. Certains disent… qu’il était déjà mort avant même que son corps de touchât le sol. Mort de douleur. Lorsque Kentanan apprit cela, il resta figé, meurtri, sans émotion, comme s’il ne pouvait y croire. Le soleil ardent qu’était le cœur de son ami avait cessé de lui insuffler sa vie, et si le corps de Saïnatan était mort, l’âme de Kentanan l’était devenue également."

Kent était devenu immobile, sous les paroles incroyables de son général et tuteur. Il ne se souvenait plus de cette légende, et… elle semblait si incroyable.

"Aujourd’hui, mon fils… vous êtes le Bouclier Rouge, et Saïn la Lance Verte. A vous deux, vous êtes la Sainte Armure de Caelin. Et notre ville a besoin de cette protection. Vous êtes le Bouclier Rouge. Protégez votre ami, et votre monde. Et…"

Déjà il devait partir…

"Et ?"

"Et, fiston… laissez Saïn vous protéger aussi. Ne portez pas tout le fardeau tout seul. Un seul homme ne peut pas obtenir la victoire que nous cherchons tant. Ne faîtes pas comme Kentanan."

Un instant, et le Bouclier Rouge avait silencieusement approuvé, avant de disparaître.

(Retour au présent)

Mais tout cela était du passé et Zorphéas était mort. Mort, tué de la main de celui qui avait juré de toujours lui obéir, et de ne jamais le combattre. Mais à présent, il était trop tard pour s’apercevoir que ces deux choses n’étaient pas forcément compatibles, et que la guerre pouvait vous amener à faire des choses que vous voudriez ne jamais faire.

Beaucoup trop tard.

Depuis ce jour, Kent n’avait plus jamais ri. Lui qui naguère souriait rarement, on eût dit qu’il n’avait jamais souri comme peuvent sourire ceux qui sont heureux de vivre. Sa seule consolation était le fait qu’il avait accompli son devoir – mais quel devoir ! Et… à quel prix. Au prix de son cœur de chevalier, qui était en train de mourir comme peuvent mourir les cœurs.

Si, il y avait une autre consolation… il avait épargné à Saïn d’avoir à porter le coup fatal sur Zorphéas. Saïn savait que leur tuteur et professeur était mort dans la bataille qu’ils avaient menés avec Lady Lyndis – qu’ils avaient aujourd’hui dû quitter –, mais il n’avait pas vu mourir Zorphéas. Il n’avait pas vu Kent tuer Zorphéas.

Mais aujourd’hui, le nouveau général l’avait convoqué…

Et en sortant de l’entrevue, il lui avait donné une nouvelle mission…

… une mission qui, douloureusement, avait lieu là où Zorphéas était mort, avec tant de soldats…

 

(...A suivre…)

*

 

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