Note : Enfin ! La tant attendue suite de… ‘Le Rouge et le Vert’ ! Pour ceux qui sont intéressés, des musiques sur mes fics (et les persos des fics) sont en cours de création ! Gratuites, of course.

Saïn : Yeah ! J’ai hâte de voir la musique sur moi !

Kent : Vous connaissant, elle ne doit briller de vivacité d’esprit…

Saïn : Même pas vraieeuuhh ! Par contre, je parie qu’on doit pas beaucoup rigoler dans la vôtre !

Kent : … … …je ne pense pas.

Lord Ma : En fait, il y a aussi pour vous deux ensemble.

Kent et Saïn : Alors ce serait musique qui à la fois serait bête et ne rigolerait jamais dans sa vie ?

Lord Ma : …

Kent et Saïn, se regardant : … … … oh, non. (Je n’y crois… je viens de le reconnaître.)

Stop, les tourtereaux !

Pour en revenir à ce chapitre… suspense. Peut-être Kent vous montrera-t-il une partie plus fragile derrière le masque ? Mais après tout, c’est ça qui fait sa force.

Une citation de Corneille à un moment, ne pas penser que je m'approprie son texte.

Silvara, tu verras un petit clin d'oeil à ta fic avec Priscilla !

Merci à tous les lecteurs, et en particulier Ma-chan et Silvara !

 

 

Le Rouge et le Vert

 

By Lord Ma-koto Chaoying

 

 

Chapitre 6 : La Légende du Bouclier Rubis

(Passé ?

Rêve ?)

Il était une fois, un petit garçon dans un pré, qui était heureux de vivre.

« Attendez-moi ! »

Un bruit de pas !

Ce petit garçon, si heureux dans la campagne où il vivait avec ses parents, était calme, souriant et très aimé. La magnifique couleur cuivre de ses yeux, étincelante de vie au milieu d’un visage innocent aux traits fins, était la cause de sa popularité.

« Mon petit ! C’est donc toi. Tu as de la chance, j’allais fermer le magasin ! Alors, que veux-tu, aujourd’hui ? »

Les yeux cuivre, secrets, brillant d’une lueur calme.

« Tâchez de deviner, madame. »

Un sourire de la part de la vieille marchande.

« Laisse-moi une chance… réglisse ? Pain ? »

Un éclat de rire joyeux fit scintiller la couleur cuivre des yeux, si étonnante, si inhabituelle.

« C’est inexact, madame. »

« Kentanan, tu ne m’as laissé aucune chance. Donne-moi un indice ! »

« Très bien… »

Le jeune garçon, grave et calme, commença.

« …tel le fer tu brilleras, des fers tu délivreras, de fer tu seras… »

(Retour à la réalité…)

« Kent… »

L’éclat métallique des yeux cuivre étincelle encore plus fort ! Pourquoi ne répondait-il pas ? Pourquoi un de ces si étonnants, rares sourires, n’éclosait-il pas au contact de la lumière de leur affection toujours magique, de leur amour qui avait pris ses racines dans la Terre de la Vie ?

« Mourez donc, Lance Verte ! »

Pourquoi détourne-t-il le regard !

La lame étincelle devant ses yeux !

« Sainte Elimine ! »

Un cri aigu avait jailli de la gorge de Saïn. La douleur, une douleur vive avait barré sa joue gauche au contact du fer de son adversaire – celui qu’il aimait, son frère d’arme de toujours, qui aujourd’hui, était son ennemi. La surprise d’une telle attaque, lui ne voulant pas croire à l’éclat métallique qui semblait avoir pris possession de ces si étonnants yeux cuivre…

…à l’éclat protecteur.

Un Bouclier Rouge, fait pour protéger une Lance Verte…

« Non, non, et NON ! »

Saïn avait hurlé. Légèrement surpris, son adversaire s’était arrêté. Il voulut reprendre la lutte, mais quelque chose dans les yeux noisette dorés du jeune chevalier vert l’arrêta – une fraction de seconde.

« Qu’y-a-t-il, Lance Verte ? N’êtes-vous pas prêt à mourir et à vous battre comme un vrai chevalier ? »

Le sarcasme avait envahi la voix jadis tendre et juste. Désespéré, Saïn regarda de ses yeux noisette doré si expressifs – de toute la profondeur de son cœur, de toute la force de son esprit, de tout l’éclat sentimental de son âme parmi les mille âmes de l’Univers ! – ces yeux cuivre si magnifiques dont un éclat métallique venait détruire la vie.

Un éclat métallique…

Ces yeux cuivre…

« K-kent… »

L’espace d’un instant, il voulut pleurer. Il avait toujours pleuré sur le champ de bataille. Pleurer sur le sens du combat dont il ne trouvait le cœur, qui ressemblait tant au cœur d’un être ou d’une chose qui retrouve son essence divine – une essence d’Amour. Mais pour la première fois, il allait pleurer devant un adversaire…

…était-ce parce que cet adversaire était la personne qu’il aimait ?

« J-je… v-veux… »

« Quoi donc, faible Lance Verte ? »

Il avait hurlé, alors que des larmes avaient déjà fait leur chemin vers la terre.

« J-je… v-veuxê-être u-un v-vrai c-chevalier ! »

Il avait voulu essuyer l’eau qui coulait de ses yeux, ne jamais laisser voir ce que les autres appelait pure faiblesse, mais déjà elles avaient mouillé son visage et la terre de leur eau fertile. Fertile d’une vie qui battait en son cœur, tandis qu’il ne parvenait pas à articuler ces mots correctement.

« J-je… n-nev-veux p-pas… détruire ! J-je… r-refuse de… p-prendre l’épée ! »

Les larmes coulent sur la terre de la vie !

« Ne pleur-… »

L’espace d’un instant – une fraction de seconde – le Bouclier Rouge avait eu un moment de trouble. En une fraction de seconde, un éclat troublé apparut dans le cuivre de ses yeux.

Et en cette fraction de seconde, Saïn avait aperçu la couleur protectrice cuivre vibrer dans les yeux de son frère d’arme.

« Quoi donc, Kent ? Qu’alliez-vous dire ? »

Il s’est avancé dans les bras de son ami ! Le jeune chevalier rouge eut un mouvement de recul, mais déjà l’autre avait agrippé sa manche.

« Reculez, Lance Verte ! Tout de suite ! Ou je vous tue ! »

Les yeux noisette brillèrent d’une lueur dorée, très tendre.

« Alors, qu’attendez-vous, Bouclier Rouge ? »

Pendant un moment aussi long que l’Eternité, ils restèrent ainsi, tandis que leur cœur vibrait d’une émotion que l’on ne raconte jamais. Le Rouge regarda le Vert, désemparé. Alors un éclat métallique vibra dans ses yeux cuivre et il éleva la lame, prêt à tuer.

(Flash-back ?

Rêve ?)

Le petit garçon savait rire et faire rire les autres. Il savait sourire et faire sourire les autres. Son cœur était le cœur d’un enfant, un cœur pur.

« Tel le fer tu brilleras, des fers tu délivreras, de fer tu seras… »

La marchande continuait à répéter la devinette, sans pouvoir trouver. Finalement, elle soupira fortement, sous les yeux cuivre du jeune garçon.

« … …Kentanan ! Ça fait une minute que tu me fais tourner en rond. Que vas-tu acheter, alors ? Je donne ma langue au chat ! »

Une couleur grave se fit dans les yeux cuivre – une couleur si bien connue de lui, déjà présente en lui.

« Une épée, madame. »

« Une épée ! Mais que vas-tu donc faire avec ça, mon petit ? »

Pourquoi cette couleur si grave brille dans ces yeux cuivre ?

« Je dois devenir un vrai chevalier. Car je dois… protéger le monde. »

La marchande fixa le petit visage si sérieux. Mais, soudainement, un sourire apparut sur sa face ridée, et elle se mit à rire. Etonné, le petit garçon la regarda.

« Qu’y-a-t-il de si drôle, madame ? »

« Il y a, qu’hier même, à la même heure, un garçon de ton âge est venu me faire la même requête, et il a dit… exactement la même chose ! Sauf que… »

« Sauf que ? »

« Sauf qu’il n’a pas dit qu’il devait devenir chevalier, mais ceci « Je veux devenir chevalier ! Car… je veux protéger le monde ! » Et, en prime, il a voulu prendre la lance et pas l’épée ! »

« Et pourquoi il n’a pas voulu prendre l’épée ? »

« Parce que, pour lui, la lance, c’est plus héroïque ! »

Le petit garçon se prit la tête dans la main.

« Ce que je lui dirais, mot pour mot, c’est… »

Curieuse, la marchande leva un sourcil, en souriant.

« Tu lui dirais quoi ? Vas-y, je mime l’autre p’tit gars ! »

De son regard cuivre si grave, le jeune garçon dit ces mots.

« "Votre bêtise est affligeante. " »

La marchande se mit à rire. Quelles paroles graves pour un si petit garçon ! Mais son étonnement fut bien plus grand encore, lorsqu’elle vit un sourire éclore sur son visage et qu’il se mit à dire.

« "Pourtant… votre cœur… doit être très beau. Et moi… je voudrais être celui qui vous aime… et vous protège". »

Un sourire étrangement profond et doux apparut sur le visage de la vieille dame, alors qu’elle dit simplement ces mots.

« Kentanan, c’est cela que tu voulais lui dire ? »

(Retour à la réalité…)

Un éclat métallique avait jailli, auréolé d’une lueur de sang.

« K-KENT ! »

La Lance Verte avait hurlé. Il s’était préparé à mourir, de la main de celui qu’il avait toujours aimé, et voilà que le sang qu’il n’avait pas pu se décider à faire couler avait éclaboussé ses vêtements !

« K-KENT ! BON SANG, QU’AVEZ-VOUS FAIT ! »

Le Bouclier Rouge est rouge du sang qu’il a versé à la place de son ami !

« K-KENT ! V-vous… ! »

Au moment où la lame s’était détourné de lui pour viser un autre point, Saïn avait compris en une fraction de seconde que le Bouclier Rouge allait se suicider. Mais dans la même fraction de seconde, alors qu’il y avait senti battre le cœur d’un frère d’arme toujours aimé, le jeune chevalier vert avait détourné le coup et la lame n’avait pas tranché la veine du poignet.

Mais elle était ouverte et saignait.

Gravement…

« Qu’y-a-t-il, Lance Verte ? Qu’attendez-vous pour me tuer ? »

Les yeux cuivre le fixèrent d’un éclat las, fatigué, comme jamais il n’en avait vu. On eût dit qu’il aurait voulu mourir, et ne plus jamais voir l’éclat terni de douleur du monde. Mais Saïn savait que ce que le Bouclier Rouge ne voulait plus voir, c’était l’éclat terni de ses propres yeux à lui.

« Kent… »

Déjà le chevalier vert avançait la main vers un Bouclier Rouge haletant, toussant mortellement de fatigue et de lassitude. Minute… il toussait ! Aussi fort ? Il devait malade, pour tousser d’une telle façon !

Et il crachait du sang !

« K-kent ! »

Il allait tomber sur le sol !

Plus rapide que le raisonnement même, Saïn avait rattrapé son frère d’arme dans ses bras, pour l’empêcher de heurter lourdement le sol. Mais sous le poids, il avait basculé aussi, et la poussière s’était élevée en nuage de la terre tandis qu’il tenait son ami dans ses bras, le protégeant des éclats de pierre.

Kent…

Il vit l’immense lassitude ternir les yeux cuivre, et quelque chose se brisa en son cœur, laissant enfin place à un sentiment dont il avait toujours vu les bourgeons fermés, aujourd’hui éclore en fleurs de vie.

« Mon ami… »

Il s’était surpris à parler d’une voix si douce, que seule une mère aurait pu avoir cette intonation aussi tendre et touchante.

« Je suis là pour vous… et vous êtes là pour moi. »

Il caressa tendrement les cheveux roux, puis le visage si fatigué de vivre.

« Si vous deviez me tuer… si vous deviez vous tuer… alors… »

Il se pencha, et embrassa tendrement le front du bien-aimé, restant à portée d’un coup de lame.

« Je serais là pour vous… et vous serez là pour moi. »

Pendant un instant qui s’était mué en éternité, la Lance Verte était restée penchée près du Bouclier Rouge, les yeux fermés, prête à l’Eternité.

Car un coup de lame n’aurait pas signifié la mort mais l’Eternité.

« V-votre… »

Voilà que la voix d’un Bouclier Rouge, si familière, s’est élevée !

« V-votre bêtise… est… a-affligeante. »

Saïn, les yeux brouillés de larmes, avait reconnu la voix de son ami ! Il voulut toucher le visage de son frère d’arme, mais ce dernier avait agrippé convulsivement sa main, serrant passionnément ses doigts.

« Pourtant… votre cœur… doit être très beau. Et moi… je voudrais être celui qui vous aime… et vous protège… »

Kentanan, c’est cela que tu voulais lui dire ?

Saïn voulut parler, mais déjà l’autre avait élevé une main vers son visage, en regardant le ciel et la couleur noisette doré de ses yeux, de ses propres yeux à la lueur cuivre douce, protectrice, et désespérée.

« Alors donnez-moi un peu de la beauté de votre cœur… de la beauté de vos sentiments… moi qui suis si froid et si vide… dans notre monde… sans un cœur comme le vôtre… »

Il… il n’avait pas oublié !

Il…

…n’avait jamais oublié…

Pendant tout ce moment, il avait combattu sans jamais oublier ?

La Lance Verte s’était surprise à pleurer encore, mais il ne s’en aperçut que lorsqu’une main essuya tendrement les larmes qui avaient coulé sur son visage, caressant la commissure des lèvres pour y chercher un sourire.

« N-ne pleurez p-pass-souriez… »

Le secret de la lune et des étoiles furent sur eux, alors qu’un jeune homme pleura, en voyant comme pour la première fois depuis la création du monde, un sourire sur le visage d’un Bouclier Rouge.

Et pour une seconde fois, il embrassa le front d’un bien-aimé.

(Flash-back de Kent)

Toc toc toc !

Des coups hésitants frappèrent la porte du bureau.

« Entrez. »

Un jeune soldat obéit, sans être surpris par la légère froideur de la voix, qui traduisait une contrariété – et il savait laquelle.

« Ronan. Le capitaine est-il là ? »

« Oui, commandant Kent. Il vous attend. »

« Eh bien, voilà la première chose sensée qu’il aura eu l’idée de faire aujourd’hui… »

Le soldat remarqua le sarcasme dans la voix, qu’il se garda bien de faire remarquer. Après avoir reçu congé, il quitta doucement la pièce.

Dehors, attendait une vraie tête de mule de Lance Verte, aussi mieux valait reprendre un peu de souffle avant la confrontation dans le bureau…

Bon sang… que vais-je faire de vous ? Si vous continuez ainsi… alors même l’autorité du général ne pourrait vous sauver, et vous savez pertinemment que je ne suis que commandant.

De toute façon, mieux valait faire entrer le coupable, à présent…

« Veuillez entrer. »

La porte s’ouvrit, et des yeux noisette dorés où brillaient une lueur obstinée, étincelèrent en refusant de regarder les miens.

« Fermez la porte, et prenez place. J’ai à vous parler, capitaine. »

De mauvaise grâce, ce dernier obéit, l’air buté. Je me retins de soupirer. La discussion s’annonçait difficile…

« Alors, capitaine Saïn ? »

« Oui, mon commandant ! »

…très difficile.

« Vous comprenez très bien ce dont je veux vous parler. Allons droit au but. Pourquoi vous êtes-vous introduit dans la tente de Mlle Priscilla et lui avez-vous dérobé un haut de chausse ? »

« … »

Je continuai d’une voix calme – et il m’en fallait, du calme, je peux vous l’assurer.

« Vous savez pertinemment que ce ne sont pas des manières à adopter, et que vous ternissez considérablement la réputation des cavaliers de Caelin – vous qui êtes un de ses meilleurs éléments, et certainement un des plus connus et un des plus populaires. Qui plus est, devant une jeune femme dont l’origine sociale semble élevée au vu de son allure. »

« Ce qui n’est pas notre cas… » marmonna-t-il.

« Quel rapport avec tout cela ? »

« Si tout était différent… si nous n’avions pas été de simples soldats destinés à obéir… si… »

Le changement de ton me frappa. L’espace d’un instant, son regard noisette aux reflets d’or, habituellement pétillant d’enthousiasme ou d’entêtement, était devenu vague et lointain. Triste, même.

« Si ? »

Ces yeux se fixent sur moi et leur reflet d’or étincelle dans l’émotion noisette de ses prunelles !

« Kent, si tout avait été différent et que nous n’avions pas eu à tuer, aurions-nous été différents ? »

« Capitaine… »

Je voulus parler, mais il me coupa avec la fougue qui lui était si propre.

« Est-ce que vous auriez pu me réprimander sans me convoquer dans ce bureau militaire ? Est-ce que j’aurais pu vous écouter sans me sentir loin de vous ? Est-ce que j’aurais pu, bon sang, ne pas être obligé de faire n’importe quoi pour dire que j’en ai assez ? Assez de voir que j’en ai assez de tout, de tous ces meurtres, ces corruptions, ces manipulations, et surtout… de voir comment les choses font pour que vous, mon meilleur ami, le frère d’arme qui peut tout écouter, vous changiez… vous ne soyez plus vous-même… que sais-je ! Vous n’êtes plus vous-même, c’est tellement visible, même si vous n’en dites rien ! Et je n’arrive rien à y faire ! Et moi non plus, je ne suis pas moi-même ! Et c’est devenu encore pire depuis que Matery a remplacé le général Zorphéas ! »

L’éclat d’or de ses yeux était devenu presque surréel. Je l’avais toujours connu fougueux, profond, passionné – d’une passion que je n’avais jamais eue comme lui –, mais aujourd’hui, plus que jamais, c’était contre moi – ou pour moi –, que s’exerçait cette impétuosité.

Je savais…

…qu’il n’avait pas tort…

« Saïn. »

Sa tête s’était redressée, parce que je l’avais appelé par son nom et non son grade.

« Pourquoi… ne me l’avez-vous pas dit avant ? De cette façon…» murmurai-je, avant de le regarder vraiment, pour la première fois de l’entrevue.

Etrangement, ma voix me sembla différente. Pour la première fois depuis longtemps, elle était bien plus tendre.

« …j’aurais pu mieux vous écouter… et vous empêcher de vous attirer ces ennuis, qui vous coûteront si cher… »

« Oh, Kent… »

Lorsque mes yeux rencontrèrent les siens, ils virent le garçon, à qui jadis, le serment avait été fait d’être toujours là pour lui et qu’il soit là pour moi. Il baissa la tête (Saïn ne baissait jamais la tête devant un supérieur hiérarchique !), et dit doucement.

« …vous ne m’auriez pas écouté. Vous ne pouviez pas m’écouter. Vous souffriez trop, et vous ne vouliez le montrer à personne. J’ai bien essayé de vous parler, mais vous ne m’écoutiez pas. »

J’étais atterré.

« A ce point-là ? »

Il eut un léger rire, et son éclat pétillant d’or dans son regard noisette toucha mon cœur.

« Vous savez, Kent. Vous dites que je suis une foutue tête de mule… »

« Je n’ai pas entendu le mot que vous avez prononcé avant ‘tête de mule’, capitaine. »

Il rit encore, et cette fois je souris avec lui.

« Bref, vous dites que je suis une vraie tête de mule, que je n’écoute personne, et que personne au monde ne peut me forcer à écouter qui que ce soit… mais vous aussi, vous savez que vous battez des records ? Vous voulez toujours porter le fardeau du monde sur vos épaules… cacher votre faiblesse… pour le ‘bien de tous’… pour votre devoir… et, pour accomplir cela... vous n’écouteriez personne. Pas même moi. »

Pourquoi le silence a-t-il envahi mon cœur ?

Une chanson de tristesse chante dans mon âme depuis toujours et il faut que ce soit un frère d’arme qui écarte le voile dont je me couvrais les yeux !

Sa voix est basse, alors qu’il garde la tête baissée, sans fixer mon regard. Une couleur douce vibre dans ses yeux pourtant…

« Kent… je vous ai vu, l’autre nuit, au cimetière. »

Je sursautai presque.

« Vous… étiez là ! Avez-vous… vu… ! »

Il baissa encore plus la tête.

« Je vous ai vu… pleurer sur les tombes. Vous… n’en pouviez plus. Vous pleuriez… comme jamais je n’ai vu pleurer quelqu’un. Jamais… je ne vous avais vu ainsi… »

Ma voix trembla presque lorsque je pris la parole, mais Saïn ne sut pas si ce fut de douleur ou de colère.

« Vous… m’aviez-vous donc suivi ! Alors que les soldats n’avaient pas la permission de sortir la nuit sans autorisation ! »

Son regard noisette se fit inquiet, mais l’instant d’après, une lueur décidée vient colorer d’or ses yeux.

« …oui, je vous ai suivi. »

Il était même décidé à braver une punition !

Quelque chose en moi se brise.

Le silence devint éternel, alors même que l’Eternité venait habiter les instants de notre vie. J’aurais… presque pu palper l’émotion qui vivait dans les fibres de la terre…

Quelque chose en mon cœur…

…s’est brisé…

« Saïn… venez ici... s’il… s’il vous plaît. »

Il se lève, et s’approche de moi, et lorsque ses yeux voient la prière dans mon regard, il saisit doucement ma main. Mais sans m’en soucier outre, je l’étreins, avec une passion que je n’ai jamais assez comprise en moi.

Je ne comprends pas l’eau qui s’obstine à vouloir jaillir de mes yeux. Je ne comprends pas pourquoi je voudrais tant blottir le chagrin secret de mon cœur contre le sien, et ne plus jamais jouer un rôle sans sens dans un combat sans sens. Je ne comprends pas pourquoi je voudrais tant que ce sens soit son cœur qui parle à mon cœur et mon cœur qui parle à son cœur, toujours ensemble dans leur solitude.

Je ne comprends pas pourquoi…

…je pleure !

« Je… »

Je veux essuyer les larmes qui ont commencé à couler sur mon visage, mais sa main musclée empêche doucement la mienne de le faire.

« Non… ne vous empêchez pas de pleurer… »

Il recueille avec tendresse une larme de cristal, avant de caresser doucement l’alentour de mes yeux, passant sa main dans mes cheveux.

« Vous ne devez pas vous empêcher d’être triste… ne vous empêchez pas d’être vous-même… vous que… »

Je sens un sanglot déchirer mon cœur. Ses yeux noisette lisent tout en moi, mais je ne veux plus rien lui cacher, plus jamais.

« …vous que j’aime tant. » finit-il doucement, en posant un baiser sur mon front.

Un rayon de soleil chante à ce moment dans la pièce, alors que pour la première fois – depuis très longtemps – je souris.

Une joie surréelle teinte ses prunelles d’or alors qu’il voit le sourire que je lui offre…

Mais…

…une larme y coule !

Est-ce que je suis heureux ou triste ? Je ne sais plus… qu’est-ce que je sais, encore ?

Un de vos doigts a essuyé la larme qui coule, avant de remonter sur le visage, suivant le parcours qu’elle a suivi dans le sens inverse.

Je veux… me blottir dans votre épaule, et ne plus jamais, jamais au monde, oublier cette émotion d’or que je tiens du fond de mon âme et aux creux de vos mains…

« J-j’ai… »

Est-ce ma voix ! Mon Dieu, qu’elle tremble !

« …j-j’ai besoin de vous… p-parce que… »

Je ferme mes yeux sur le contact chaud de ses mains.

« Lorsque… tous les devoirs du monde… sont impuissants à donner un sens au combat… et que je suis impuissant à vivre mon combat… entendre votre cœur parler au mien, et le mien au vôtre… c’est mon plus beau devoir, mon plus profond sens, mon plus vrai combat, et… »

Je souris encore, et dépose un baiser sur son front.

« …mon plus grand désir. »

Je sais que vous souriez aussi lorsqu’une larme, mais qui n’est pas la mienne, coule sur mon visage…

« Saïn… cela fait… des semaines… des mois… des années, peut-être l’éternité… que… je… je… je ne comprenais plus rien. Vous êtes la seule personne… que j’ai jamais serrée dans mes bras dans mon enfance… et pourtant… j’en suis même venu… à ne plus vous écouter…»

D’un jeu enfantin, il tapote sur mes doigts, et une expression espiègle apparaît sur son visage. Ses yeux noisette doré pétillent de rire, alors qu’il dit.

« Ah, Kent ! Je vous ai enfin pris en défaut ! Vous n’avez pas écouté votre aîné, plus intelligent et plus mature que vous ! »

« Oh, taisez-vous. Personne n’a voulu nous croire quand vous leur disiez que vous étiez plus âgé que moi (et surtout, que vous étiez plus mature). Il a fallu que ce soit moi qui le dise pour qu’ils l’acceptent. Alors, vous comprenez que, pour ce qui est de l’intelligence et de la maturité… »

« Ahhhhh, n’en rajoutez paaaaass ! »

« Je ne fais que dire la vérité. »

« Vous en avez rajouté ! »

Une étincelle d’or vibre dans ses yeux noisette. Une étincelle de sourire dans la pluie de larmes qui ont rendu nos cœurs fertiles. Mon Dieu, où a-t-il trouvé cette couleur divine, dans un monde où la mort semble une fin sans rémission ?

On dirait qu’il a trouvé une fibre de lumière au cœur sacré de la Vie !

« Commandant, je parie que vous n’y arriverez jamais ! »

Je hausse un sourcil. Ah, il s’est levé ?

« A quoi ? »

Il approche un instant son visage du mien, où brille une lueur espiègle dans ses yeux noisette.

« A aller au bal prévu pour la promotion de la cavalerie ! Je suis sûr que vous n’êtes même pas au courant, vous qui êtes perdu dans les cîmes kentaniennes de la vertu ! »

« De quoi parlez-vous, Saïn ? »

« Ah ha ! Je le savais, je le savais, je le savaaaaaais ! Vous ne savez paaaaas ! »

Je le saisis par la manche.

« Cessez de danser autour de la table et expliquez-moi de quoi vous me parlez. »

Il s’assoit avec nonchalance sur la chaise, et me regarde un moment sans rien dire, un grand sourire peint sur les lèvres.

« Pourquoi souriez-vous ? »

« Je me délecte de vous avoir pris en flagrant délit d’ignorance… moi, le pauvre petit capitaine irréfléchi et écervelé de l’escadron, sait quelque chose que le grand-sérieux-et-toujours-parfait commandant Kent ne sait paaaaas… »

Mes lèvres se pincent malgré moi.

« Vous êtes idiot. »

« Mais un idiot qui en sait plus que vous, mon cher Keeeent ! »

Cette fois, mes yeux lancent des éclairs.

« Capitaine Saïn»

Il se recule, un peu terrifié. Il sait qu’un Kent en colère est dangereux, particulièrement pour les Lances Vertes au QI ne dépassant pas 0, 01.

« Non, non, pitié ! Ne vous mettez pas en colère ! J’ai une femme et des enfants ! Euh, non, en fait, je n’en ai pas… enfin, j’ai, euh… euh… j’ai un cheval et des armes ! »

Comment rester sérieux devant une telle réplique ? Je ris franchement, avant de croiser les bras, l’air vaincu.

« Touché, Saïn. Vous avez gagné. J’admets que vous savez quelque chose que j’ignore. Daigneriez-vous partager ce savoir que je n’ai malheureusement pas ? »

Un éclat d’or espiègle brilla dans ses yeux noisette alors qu’il me prit la main, avec l’air d’une commère prêt à répandre ses ragots.

« Mon cher Kent ! Enfin vous reconnaissez mon éternelle supériorité intellectuelle ! Dans quelques jours, un bal en l’honneur de l’anniversaire de la cavalerie de Caelin va être donné. Tous les chevaliers y sont invités… et particulièrement les meilleurs éléments. C’est pourquoi je vais certainement être invité ! »

Je donnai une claque à sa main en fronçant les sourcils, amusé malgré tout.

« Saïn… »

« Non, non, ne me faites pas la moraaaale ! »

« Orgueil perd le chevalier, affaiblit honneur et courage… »

« …tandis que modestie fait vivre valeur du chevalier. Je saaaaaaaais, Keeeeent ! Mais vous m’aviez dit de partager mon transcendantal savoir, que vous n’aviez paaaas ! »

« Je parlais de savoir, et non de bêtise. Une bêtise que je n’ai certainement pas, ceci dit en passant. »

« Mééééééé ! »

Pourquoi est-il aussi enfantin ? Il n’a jamais cessé de l’être, malgré toutes les vicissitudes passées, et rien ne semble pouvoir l’empêcher de jouer avec moi… diantre, nous avons la vingtaine, tout de même !

« Kent, je parie que vous n’oserez jamaaaais y alleeer, à ce bal ! J’en suis sûr, ha ! »

Pourtant, d’un certain côté, je suis heureux qu’il soit toujours un enfant auprès de moi… je pourrais toujours veiller sur lui et rire devant ses espiègleries.

« Vraiment ? »

Mon sourire en coin l’alerte. Mais tout de suite sa trop grande confiance en lui l’emporte sur sa raison (si tant est qu’il en ait jamais eu…).

« Sûr, Kent ! Je parie que vous n’oseriez jamais aller au bal et sortir avec quelqu’un ! Je suis sûr que… »

« …perdu. »

« Hein ? Que… que… quoi ! »

Un sourire supérieur se peint sur mes lèvres.

« Vous avez perdu votre pari. Car je viendrai. »

Ses yeux s’ouvrent, tous ronds, mais il se reprend très vite, en frappant la table de sa main, l’air espiègle.

« Ha ! J’aimerais voir ça ! Vous détestez les mondanités, vous ne connaissez rien aux charmantes compagnies, et vous voudriez aller à ce bal ! Commandant Kent, je voudrais voir ça ! Nous verrons si vous tiendrez ne serait-ce qu’une minute ! Ha ! »

Il se tourne déjà pour partir, mais je l’arrête d’un geste.

« Capitaine, n’avez-vous rien oublié ? »

« Hein ? »

Je croise lentement mes mains sur la table, savourant l’instant, mais en gardant une voix volontairement froide pour le tromper.

« Trois jours de nettoyage des armes pour avoir ennuyé Lady Priscilla. »

Il bondit jusqu’au plafond.

« QUUUOOOIII ! AHHHHH ! »

Si j’avais une cape, je rirais dessous.

(Plus tard…

Jardin de pruniers en fleurs…

Château voisin du Bakadors…)

Une voix chantante de ténor s’éleva des fleurs du jardin, qui n’étaient plus en bourgeons.

« Dans la mort ou dans la vie,

Vis.

Vis, mon ami.

Va ton chemin, crée ces flots en toi

Que tu sais si bien créer quand tu crois !

Sans mal penser, crée marées en toi

Dansantes de joie entre univers et toi ! »

C’est une seule danse

Et un seul geste au combat

C’est la chanson de ma lance

Et notre cœur qui ensemble bat.

Entends cette Danse, mon ami.

Tisse la vie de l’être ordinaire

Tu as un pouvoir extraordinaire

Tisser la vie dans un rire

Tant aimer par un sourire ! »

Cette voix… ne pouvait appartenir qu’à un seul être au monde. Un seul… celui qui, une fois encore, l’avait arraché à un torrent de tourments vide de sens, abîme du mot devoir qui a oublié son âme.

« Je crois en toi,

Et moi aussi je m’avance.

Voici mon toit,

Tout le courage de ma lance.

C’est là tout mon amour.

Toute ma lutte, dans toute ma sincérité.

Bien que je butte, si proche de la vérité…

Moi à mon tour je souris,

Et je suis alors si heureux

D’être avec toi… »

Kent s’était immobilisé, ses cheveux roux – à présent longs – volant au vent, pour écouter la superbe voix de ténor s’élever du magnifique jardin, et regarder au loin la silhouette de celui qui chantait. Il s’adossa à un mur, croisant les bras.

Il ne le lui avait jamais dit, mais il admirait énormément la voix de son frère d’arme. Saïn avait une voix de ténor merveilleuse. Puissante, passionnée, mais empreinte d’une tendresse et d’une expressivité tout à fait magique. Lorsqu’ils n’étaient tous deux que des apprentis chevaliers, il lui arrivait souvent de chanter. Il était capable de tenir sous le charme tous ceux qui l’entendaient, et de faire pleurer les plus durs à cuire des soldats. Il n’était pas seul dans ces concerts, car…

« Je me demandais où tu étais passé... »

Kent ne cligna pas même des yeux.

« Empereur du Bakador. »

L’homme âgé eut un sourire, alors qu’il continuait.

« …mais je me doutais que, où il se trouvait, tu devais te trouver aussi, Kentanan. »

D’une voix empreinte de calme et de dignité, le Bouclier Rouge rectifia doucement mais fermement.

« Kent. ».

Mais l’autre, insistant, continua.

« Kentanan est plus exact. »

Le jeune homme regarda sombrement sa main, musclée mais fine, qui avait tant porté la lame que l’on connaît au Bouclier Rouge.

« Kentanan a failli tuer son frère d’arme. »

L’empereur du Bakador porta un regard empli de bonté sur le jeune chevalier rouge. Puis, sans mot dire, il lui tendit un objet – une flûte.

« Qu’est-ce que… »

« A ce que tu m’as dit, ton frère d’arme ne chantait pas tout seul. Et lorsque j’ai vu cette flûte dans ton sac d’affaire que l’on a retrouvé, j’ai pensé que tu étais musicien et que tu jouais avec lui. »

« … »

« Ai-je raison ? »

Le Bouclier Rouge ferma les yeux.

« Oui, Kentanan jouait avec lui… »

Mais tout de suite, l’éclat cuivre de ses prunelles étincela sous le soleil.

« …mais pas Kent. »

Voyant le jeune homme roux serrer la flûte sans la porter à ses lèvres, l’empereur le regarda d’un air bon, avant de parler doucement.

« Bouclier Rubis… Kent… ou Kentanan… quelle crainte garde ton cœur ? »

Soudainement, des yeux cuivre le fixèrent avec une lueur tourmentée, coupable, presque désespérée. Et celui à qui ils appartenaient murmura.

« Est-ce que… vous vous rendez compte ? J’ai… j’ai failli le… tuer… et… »

Le silence semblait vibrer de douleur !

« Tu te sens toujours coupable, c’est ça ? Avec tout ce temps passé seul à mûrir… à réfléchir… tu veux toujours porter un fardeau qui ne devrait pas être le tien. Pourquoi, Kentanan ? »

Le jeune homme ne répondit rien. Au loin, la chanson merveilleuse d’un frère d’arme bien-aimé vibrait de vie, d’une beauté que l’on ne raconte jamais. Une émotion qui, encore et encore, plus que jamais, voulait prendre son cœur comme terre pour germer en un champ de bataille en paix.

Un champ de fleurs…

Le jeune chevalier s’était surpris à sourire. Jusqu’à quel point la chanson que chantait le cœur de son frère d’arme défierait tous les combats de ce monde pour arriver jusqu’à son âme et y éclore ?

Kent n’était pas stupide. Maintenant, il savait très bien combien leur lien – hier, maintenant, et pour l’éternité – était d’une puissance qui ne pouvait venir que du Cœur de la Vie, là où tous les combats sont des champs de bataille en paix.

Des champs de fleurs…

Ses yeux cuivre s’arrêtèrent sur le regard clair de l’empereur, et en un rayon d’instant, il sut que l’autre avait compris depuis toujours.

« Vous êtes faits l’un pour l’autre. » dit simplement le vieil homme.

Ces mots n’étaient même pas nécessaires.

Kent essuya une légère larme qui s’obstinait à poindre au coin de son œil, avant de porter son regard à l’horizon, là où, au loin – très loin – la chanson s’élevait encore. Les émotions n’étaient pas son point fort – il laissait ce soin à Saïn. Mieux valait s’attacher à comprendre la situation actuelle, et voilà pourquoi il changea de sujet.

« Bientôt… Matery, le Maître du Clan des Bakadors… avec son armée d’adeptes… vont débarquer pour nous chercher, tous les deux, pour ouvrir la Porte du Graal… de nouveau, la guerre va tourmenter la région… à cause de nous, et… »

Soudainement, Kent fut pris d’une quinte de toux terrible. Inquiet, l’empereur le regarda, prêt à l’aider, mais le jeune homme se détourna pour tousser et cracher.

« Kentanan ! Ça va ! »

Enfin, au bout d’un certain temps, le jeune chevalier parvint à se reprendre en s’appuyant sur un muret.

« Regardez… »

La voix du Bouclier Rouge était lasse, alors qu’il posa une main sur son cœur, les yeux portés dans le vague.

« Je suis malade, empereur. Je ne sais pas combien de temps je vais tenir… mais je sais une chose ; ma maladie, je sais où je l’ai attrapée. Si vous, vous ne la craigniez pas parce que vous y avez jadis survécu, ce n’est pas le cas de Saïn… »

« Saïnatan. »

Kent eut un léger sourire.

« Pour moi, ce sera toujours "Saïn"… empereur. Mais… vous comprenez très bien ce que j’ai voulu dire. S’il reste avec moi… et que Matery nous retrouve, ce qui va immanquablement se produire… il sera forcé d’aller à la Porte du Graal. Et vous savez très bien… que personne ne peut aller là-bas et… en revenir. »

« Tu y as survécu, Kentanan. »

« Mais pas indemne. Ma tourmente… là-bas… a été tellement forte que j’ai attrapé cette maladie. Et elle est mortelle, empereur. »

Avec brusquerie, le vieil homme plongea son regard profond dans le sien.

« Kentanan, que te dit ton cœur ? »

C’est alors que le Bouclier Rouge baissa les yeux.

« C’est là… où je me sens coupable, empereur. Parce que…»

« Parce que… ? »

Un sourire brilla dans les yeux cuivre, perdus dans le lointain des cimes de pruniers en fleurs, là où, si proche et en même temps si éloigné, chantait un frère d’arme toujours aimé.

« Mon cœur me dit que je veux rester avec lui. »

Et le silence emporta la chanson d’une âme, qui avait déjà compris le cœur de toutes les symphonies du monde.

(Flash-back.

Palais noble.

Pendant un bal…)

Ça y est. Il avait ENCORE recommencé.

Superviser un bal en l’honneur de Lady Lyndis et devoir s’assurer de son bon déroulement était déjà difficile, mais avec un Saïn qui avait projeté de courtiser TOUTES les filles du bal, c’était… oh, Sainte Elimine.

« Souriieeeezzzz ! Moi, votre capitaaaaaaine adoré, suis venu vous sauver ! »

…de « la solitude d’être sans une présence féminine », je précise.

« Alors, vous êtes content de me voir ? Je sais que vous ne pouvez pas vous passer de ma légendaaaaaaaire présence ! »

Je manquai de me taper la tête contre le mur.

« Saïn, je vous sais gré d’être arrivé en renfort… mais, pour l’amour de Sainte Elimine, pourriez-vous une fois dans votre vie être UN PEU SERIEUX ! »

« Hum ? »

Mes yeux durent lancer des éclairs.

« S-SAÏN !»

Pourquoi est-il si insouciant ! Un jour, cela va causer sa propre perte ! Je veux dire, un jour au front, il pourrait mourir avant même de s’apercevoir qu’il est mort ! Pourquoi doit-il toujours courir après chaque jolie femme qu’il voit, et en prime les laisser la seconde d’après ? Ne peut-il pas être fidèle à une personne, afin que je n’ais plus de souci à me faire pour lui ?

A chaque fois que je lui répète cela, il me dit qu’il a déjà une personne à qui il doit être fidèle. Et il repart courtiser chaque femme qui passe.

« Saïn. », je reprends d’un air menaçant.

« Hum ? »

Quel… abruti.

« Vous savez très bien ce que je vais vous dire. Présomption du chevalier tu laisseras… »

« …présomption du chevalier tu regretteras. »

« Je vois que vous connaissez cette maxime. »

« Et vous voyez bien. »

Je roulais des yeux. Ah, il voulait jouer à ça…

« Mais je vois que vous êtes complètement stupide. »

« Et vous voyez mal. »

Un jour, en tant que commandant, je devrais instaurer une règle selon laquelle il est interdit aux frères d’arme capitaine d’avoir le sens de la répartie. Je m’approchai de l’imbécile en question, et lui donnai une taloche sur la tête.

« Aïeuuuhh ! Mais… vous m’avez frappé ! Mais pourquoi ? Kaï kaï kaï ! »

C’est… pathétique.

« Saïn… »

Le bougre, il savait très bien que tout le monde le regardait. Il espérait encore attirer sur lui l’attention !

« Ô rage, ô désespoir, ô frère d’arme ennemi ! N’ai-je donc tant vécu, que pour voir cette infamie ? »

Devant son attitude théâtrale, je ne pus pas m’empêcher de sourire. Du coup, l’imbécile de chevalier vert se mit à bondir sur moi pour décoiffer mes cheveux.

« J’ai encore gagnééééééé ! Monsieur-Je-Suis-Parfait-Et-Toujours-Sérieux a souriiiii ! »

« Hé ! Ne m’étranglez pas ! »

« Venez tous et toutes voir ! LE COMMANDANT KENT A SOURI ! »

Un nuage de femmes et d’hommes s’attroupèrent autour du Bouclier Rouge et de la Lance Verte, et on entendit un grand : « Ohhhhhhhhhhh ! »

Ponctué, pour l’anecdote, de commentaires comme…

« Eh, Marc ! Tu me dois mon argent ! Le commandant Kent a souri ! »

« Mais ça ne compte pas, le capitaine Saïn était avec lui ! »

« Et alors ! »

« Et alors, il n’y a que le capitaine qui arrive toujours à faire ça ! »

« Ça m’est égal ! Un pari est un pari ! Alors, mon argent ! »

« Ah, la déveine. Et moi qui croyais que le capitaine était en trop occupé à courtiser les femmes du bal… »

Je dus lancer un tel regard aux personnes autour que même les plus courageux soldats se retirèrent discrètement.

C’est ce moment-là que choisirent Lady Lyndis et la cavalière Fiora pour faire leur apparition.

« Hé ! »

Imbécile de Saïn !

« S-Saïn ! Que… que faites-vous ! »

Mon imbécile de frère d’arme m’a poussé sur elles ! Et il ricane, le bougre !

« J-je suis désolée, milady… et vous aussi… »

« …Fiora. »

Je m’incline gravement devant elles.

« Veuillez pardonner ce comportement, qui, bien qu’involontaire, est profondément indigne. »

Les deux femmes sourient, et Lady Lyn hausse les sourcils.

« Kent, nul besoin de prendre autant de grands mots ! Je ne suis pas offensée du tout, nul besoin de s’excuser ! Vous êtes trop sérieux. »

Je m’incline encore.

« Veuillez alors pardonner mes excuses inutiles. »

Cette fois, Lady Lyn rit franchement, et même Fiora ne peut s’empêcher de sourire.

« Kent, vous ne changerez donc jamais. Fiora, il semblerait que vous ayez trouvé quelqu’un comme vous ! »

Je regarde cette dernière dans les yeux, avant de m’incliner gravement.

« Ne vous inclinez pas, Kent. Je ne suis pas une Lady. Je suis du même grade que vous tout au plus. »

« Mais vous vous inclinez également. Alors je ne peux guère me redresser avant que vous ne le fassiez. »

Un sourire passe sur les lèvres de la cavalière. Elle s’apprête à dire quelque chose, lorsqu’un grand rire éclate dans la salle.

« Ha ha ha ha ! Mon plan marche à merveille ! Dans quelque temps, Kent, une merveilleuse jeune femme vous comblera de sa présence divine ! »

L’imbécile.

« Saïn… »

Mon frère d’arme se rapproche, le regard espiègle, avant de me tapoter le dos en signe de félicitations.

« Allez, invitez-la à danser, Kent ! »

Rouge de honte, je m’excuse platement devant tout le monde, et disparais dans une autre salle. Mais c’est sans compter la ténacité d’une Lance Verte.

« Keeeeent ! »

Haletant, je repousse légèrement sa main, mais pas assez. Il se tient devant moi, l’air inquiet.

« Kent ? »

« … »

Il baisse la tête. Comment ?

« Kent… je suis désolé. Je ne voulais pas vous forcer la main… »

La colère teinte ma voix.

« C’est fait. »

Il se détourne. J’essaie de reprendre mon souffle. Je suis pour l’instant trop agité pour parler avec sang-froid.

« Saïn. »

Il relève la tête.

« Oui ? »

« J’ai une question à vous poser. Pourquoi… »

Je le regarde dans les yeux.

« …pourquoi tenez-vous absolument à me trouver une fille ? »

Pourquoi cette expression magique dans ces étonnants yeux noisette dorés ?

« Il me semble que c’est évident, Kent. »

Evident ? Sa voix résonne, avec un calme inhabituel, mais étrangement beau.

« Je veux vous voir heureux. »

« Est-il nécessaire de vouloir à tout prix me trouver une compagne ? Je… »

Il m’interrompt, avec douceur.

« Ne vous souvenez-vous pas, Kent ? »

Je le regarde, sans comprendre.

« De… de quoi donc ? »

Un sourire irréel couronne, dans ses yeux, une lueur dorée d’une douceur magique !

« Ne vous souvenez-vous pas, Kent ? Lorsque nous étions petits… lorsque nous nous sommes rencontrés pour la première fois… vous pleuriez. »

« … »

« Vous disiez que vous étiez seul, que le monde vous rejetait. Que personne, à vos côtés, ne pouvait vous comprendre et vous soutenir, de chaque fibre de son âme, de chaque fibre de son cœur. Personne ne pouvait sentir la profondeur de votre âme… »

« Saïn… »

« Il n’y a pas une personne, ici, pour voir la profondeur céleste de votre âme. Votre regard porté sur le ciel, votre esprit porté sur l’infini. Pas une personne… pour voir votre cœur vibrer avec le monde, dans une quête éternelle d’harmonie et de vérité. »

Comment fait-il pour lire dans mon âme ? Vous… vous que… vous que…

« Kent ! »

Il se met à rire, mais dans son rire, il y a une étrange tonalité. Quels sont… vos sentiments pour moi, mon très cher frère d’arme ?

« La femme qui sera avec vous a intérêt à vous rendre heureux ! Ou je ne lui pardonnerai jamais, fût-elle une déesse ! »

« Saïn… »

J’avale ma salive, mais je ne peux pas parler. Je ne peux pas lui dire ce que je voudrais dire, tant de choses que je voudrais, au monde, dire.

Mais d’abord à lui.

« Oui, Kent ? »

Je le regarde. Il faudrait d’abord le lui dire.

« …merci. »

Il baisse la tête, souriant légèrement. A quoi pensez-vous, étonnant frère d’arme ? A ce que j’aurais peut-être vraiment aimé dire ?

« Venez, Kent. »

Il m’a tiré par la manche vers la salle de bal !

« Euh ? »

Un grand sourire franc se peint sur ses lèvres, mais une lueur espiègle et profonde dément son expression.

« Hé, frère d’arme ! J’ai juré de vous trouver quelqu’un, alors, par Sainte Elimine, je le ferai ! Alors, si vous voulez m’aider un peu, faites une meilleure tête devant les femmes du bal, et soyez moins sérieux ! Ou vous allez les faire fuir ! »

Quel… chevalier abruti.

« Capitaine Saïn… »

Une mimique enfantine anima son visage, faisant briller une lueur d’or dans ses yeux noisette.

« Kent, Kent, Keeeeeent ! Allez, s’il vous plaaaaaaaît ! »

Il s’accrocha à mon cou pour décoiffer complètement mes cheveux.

« Hé ! »

« Allez, Keeeent ! Mon cheeeeer Keeeennt ! Ne faîtes pas votre tête de merlan sérieux à faire peur aux filles ! »

Je m’étouffai.

« Une… tête de merlan sérieux ? Saïn, depuis quand... les merlans sont-ils sérieux ! »

Une expression malicieuse teint ses traits, alors qu’il tira sur mes cheveux à force de me décoiffer.

« Depuis que vous êtes né, Keeeeent ! »

J’aurais mieux fait de me taire. Sa bêtise est… affligeante. Affligeante.

« Ah ha ! Ah je suis bon, Keeeent, hein ! Vous avez vu ! Votre capitaine est le meilleeeeeuurrr ! Ha ha ! »

Et il continue, le bougre ! Est-ce que c’est le bal qui lui fait cet effet ? Désespéré par un tel manque d’intelligence, je me prépare à le sermonner pendant une bonne heure lorsqu’une idée me traverse l’esprit. Il va comprendre sa douleur…

Mon talon frappe violemment le sol, et le silence se fait d’un coup, alors que je prends une pose dramatique.

Je fixe mon frère d’arme dans les yeux, du haut de ma plus grande stature, avec une dignité emplie de colère qui aurait trompé n’importe qui.

« Tu as osé me faire un affront si cruel,

Qu’à l’honneur de tous deux il porte un coup mortel !

Trahison ! L’insolent en eût perdu la vie ;

Mais mon âge a trompé ma généreuse envie ! » (Note : Texte de Corneille)

Le silence se fait.

Interloqué, Saïn me regarde, sans comprendre. Mais tout de suite, il se reprend, et prend une pose magnifique qui rivalise avec la mienne. Sa voix, claire et splendide dans le silence de cristal, tinte à mes oreilles comme une chanson théâtralement véridique.

« Pardonne-moi, qui ais fait naître ta rancœur !

Si moi, moi… je t’ai percé jusqu’au fond du cœur

D’une atteinte imprévue aussi bien que mortelle !

Misérable fauteur d’une injuste querelle,

Je demeure immobile, et mon âme abattue

Cède au coup qui me tue. »

D’un air faussement courroucé, je repousse violemment sa main qui s’agrippe à mon bras. Une expression désespérée se peint sur le visage de la Lance Verte – Saïn est un acteur né ! D’un mouvement passionné, il agrippe ma main de nouveau, la serrant encore plus fort, comme s’il voulait ne plus jamais la lâcher.

« Chevalier, as-tu du cœur ? »

Mon regard change au son de la voix de l’âme ! Je murmure doucement, sans plus repousser la chaleur de sa main.

« Je sens que pour toi ma pitié s’intéresse

J’admire ton courage, et je plains ta jeunesse. »

Absorbés par le jeu théâtral qui est le nôtre, les spectateurs, silencieux, fixent nos corps immobiles, alors que Saïn entreprend sa lamentation éplorée. (Il a toujours été fort dans ce domaine, il faut le reconnaître…)

« Oui, mon seigneur, il nous faut de sanglantes victimes

Votre colère est juste, et vos pleurs légitimes.

Et je n’entreprends pas, à force de vous parler,

Ni de vous adoucir, ni de vous consoler.

Si de vous servir je puis être capable,

Employez mon épée à punir le coupable !

Employez mon amour à venger cette mort,

Sous votre commandement mon bras sera trop fort. »

Sa tête frôle mon épaule, caressant la peau à travers le tissu. Je détourne la tête, mimant un conflit intérieur immense – mais est-ce que je le mime vraiment ou n’est-il pas réel ?

« Réduit au triste choix ou de trahir ma flamme

Ou de vivre en infâme…

Des deux côtés mon mal est infini !

Ô Dieu, l’étrange peine !

Faut-il laisser un affront impuni ?

Faut-il punir mon frère de ces peines ?

Contre mon propre honneur mon amour s’intéresse

Il faut venger un affront, et perdre une maîtresse. »

Les yeux noisette brillent de larmes d’or que dessine l’éclat de lumière par la fenêtre ! Les spectateurs retiennent leur souffle, criant presque lorsque mon frère d’arme m’étreint, tête enfouie dans mon épaule.

« Je ne te dis plus rien ; venge-toi, venge-toi

Montre-toi digne roi, d’un chevalier tel que toi. »

« Je… »

Il coupe tendrement les paroles de mes lèvres.

« Ne réplique point, je connais ton amour ;

Mais qui peut vivre infâme est indigne du jour.

Plus l’offenseur est cher, plus grande est l’offense

Enfin tu sais l’affront, et tu tiens la vengeance. »

Je laisse lentement errer mes doigts dans ses cheveux, légèrement – très légèrement.

« Va, je ne te hais point. »

Mon visage, caché dans l’ombre, y enfouit ses émotions.

« Tue-moi ! Ne laisse point ! »

Son cœur a crié pour le sang versé dans le mien ! Mais je repousse doucement cette main qui s’agrippe à moi, écartant la dague vengeresse qu’il a voulu poser pour que je le tue.

« Trop peu d’honneur pour moi suivrait cette victoire…

A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. »

Le silence est total dans la salle. Car les tonnerres d’applaudissements ont été avalés dans l’émotion trop forte transmise.

Et vos yeux me disent ce que je n’ai jamais osé dire par mots…

« Le ton. »

Il hausse un sourcil, ahuri, ne comprenant rien à ce que je viens de dire. Je retiens mon rire, parce que je veux à tout prix graver cette expression dans ma mémoire.

« A la ligne treize de la page dix-neuf. Vous vous êtes trompé dans le ton porté au mot final. »

Il cligne des yeux.

« Gah ? »

Lent à la compréhension, hein ? Je fais exprès de garder un ton froid et réprobateur, comme si je le sermonnais.

« Et à la ligne trente vous avez écorché la rime. »

Les spectateurs hurlent de rire, comprenant avant lui. Alors qu’il garde la bouche grande ouverte tant il est interloqué, j’assène le coup final.

« Vous êtes pathétique, capitaine. »

Il commence à réaliser que je me moque de lui, et à s’agiter d’indignation enfantine.

« Maaaaaiiis ! Keeennnt ! C’est injuuuuusste ! Hé, attendez ! Où allez-vous… héé ! Vous n’avez pas le droit ! Je… »

Alors que je passe devant lui d’un pas rapide, sortant de la salle, je garde le même ton froid pour prononcer ces mots, quoique les applaudissements et les commentaires appréciateurs retentissent.

« A l’avenir, capitaine, travaillez mieux vos lignes de poésie avant de faire une prestation. Ou vous ne serez jamais capable de faire quelque chose de convenable, même en poésie. »

Je vois sa mine boudeuse du coin de l’œil, alors que les spectateurs continuent à rire, et que je commence à m’éloigner.

C’est alors que je me penche à son oreille pour murmurer ces paroles, que seul lui entendra.

« Saïn… merci pour tout. Pour… toutes ces paroles de vérité. »

Comme moi, il attendra d’être seul pour sourire.

(Un peu plus tard.

Coucher du soleil.)

Comme les choses se reproduisent…

Aujourd’hui encore, je vais cacher les sentiments qui me lient à lui. Je voudrais qu’il parte loin, très loin, pour ne jamais plus être menacé par le danger grandissant que j’ai attiré avec moi dans ce lieu. Je voudrais qu’il soit là, près de moi, pour me donner un de ces rayons d’espièglerie et de chaleur dont il a le secret.

Je voudrais tant…

Saïn !

Il est apparu devant moi !

« Attendez. »

Sa voix m’a retenu. Je devrais partir, m’enfuir loin de lui pour décourager son affection au reflet éternel, mais…

…je n’en ai plus le courage.

« Partez, Lance Verte. »

C’est triste à dire, n’est-ce pas ? Le Bouclier Rouge, réputé pour toujours suivre son devoir, ne peut même accomplir celui qu’il a envers son frère d’arme et capitaine.

Je jette un coup d’œil en biais à la silhouette derrière moi.

« Kent… »

…il n’est pas parti.

« Partez très loin d’ici, Lance Verte. Et ne revenez plus jamais près de moi. »

Mon ton devrait être froid ! Pourquoi ma voix tremble-t-elle ainsi ? Elle ne devrait pas…

Quoi, il s’avance !

« Kent… »

Sa main prend la mienne !

« Reculez ! »

Dans la brusquerie avec laquelle je tente de le faire reculer, je heurte quelque chose et trébuche. Quelque chose brusquement s’étouffe dans mon corps, et sans plus pouvoir m’arrêter, je me mets à tousser.

« Kent ? »

Je n’arrive plus à repousser ses bras protecteurs !

« Kent, qu’est-ce qu’il vous arrive ! Vous… »

Un éclair brusque de compréhension brille dans ses yeux, alors qu’il entrevoit une lueur coupable dans les miens.

« Vous êtes malade ! Vous toussez et crachez du sang ! Vous me cachiez cela pendant tout ce temps ! »

Je suis… pathétique. Je ne suis donc pas même capable de… de faire mon devoir ! Il est là, et je ne le repousse pas jusqu’à l’insulter ! Jusqu’à l’envoyer à l’autre bout de la terre !

Bouclier Rouge, reprends-toi !

« Kent. »

Son regard, si proche du mien, brille d’une douceur à laquelle mon cœur sourit déjà…

Non, allez-vous en !

« Kent, regardez-moi. »

Quoi, je ne parviens pas à le repousser ! Diantre… ses mains… ses bras… quelle force ont-ils, pour que je ne puisse plus même vouloir bouger !

Non…

…ce n’est pas la force de ses mains qui me retient.

C’est… leur douceur.

« Kent, est-ce que vous me regardez ? »

Ses doigts sont montés jusqu’à mon visage, pour le relever, très doucement. Mon regard rencontre le sien, et tout de suite, quelque chose – qui ressemblait tant à ma dernière volonté de résister – se brise définitivement en moi.

Il caresse doucement mon visage…

Pourquoi ni son ni mot ne sortent-ils de ma gorge, ne laissant mes lèvres s’entrouvrir que pour exprimer un soupir presque heureux ?

« … »

Aucune parole ne sort de mon cerveau embrumé. Quoi, je ne lui intime pas l’ordre de partir ! Je ne lui ordonne pas, moi son commandant, de ne pas courir à sa perte ! Qui est donc le Bouclier Rouge, censé protéger celui qui…

…celui qui…

Saïn, qui êtes-vous ?

Vous auriez dû être ce frère d’arme qui m’aurait fait découvrir le sens d’un devoir jamais empreint de faute. Aujourd’hui, pourtant…

Vous que l’on appelle la Lance Verte, moi que l’on appelle le Bouclier Rouge…

Qui sommes-nous vraiment au regard de l’Eternité ?

Je pensais suivre mon devoir, mais déjà mon cœur faiblit et refuse de faire ce que je lui demande. Me serais-je trompé sur ce que je devais faire, sur…

…nous ?

Et vous…

Celui qui fut toujours, hier et maintenant, et à présent pour l’éternité, ce compagnon de route et de cœur, sur une route immense que j’avais toujours méconnue…

…êtes-vous venu me parler d’un chemin plus infini encore ?

« Kent… »

Ses mains enserrent doucement mon visage dans une étreinte trop tendre, en emportant avec, mon âme.

Dans un monde éternel à la couleur de l’amour…

Il a emporté mon âme avec ses mains…

« … »

Saïn !

Diantre, laissez-moi, lâchez-moi, bien que je… que je veuille tant que vous soyez ici, avec moi… laissez-moi faire mon devoir ! Moi qui aurais tant à faire pour vous, pour le monde, pour l’éternité… vous, qui me comprenez, mieux que personne, je vous en prie…

Aidez-moi à faire mon devoir !

« A-aidez-moi… »

Une lueur dorée encore plus douce brille dans son regard. Quoi, qu’ai-je dit ! Ce n’était pas… ce n’était pas cela que je devais… ! Je devais… ! Je… !

Il est trop tard.

J’ai prononcé l’irréparable. J’ai prononcé, devant le ciel gardien de notre âme et devant lui, le vœu ailé de mon cœur en son secret chagrin, auréolé du sang sacré de nos blessures.

« S’il… v-vous p-plaît… »

Je veux dire non, je voudrais que ‘non’ soit le seul chemin possible, mais c’est déjà trop tard. Mon cœur lui a tout dit malgré moi, en dépit de mon devoir, en dépit de ma vie, en dépit de tout. Je sens ses bras enserrer mon corps, ses lèvres légèrement effleurer les miennes…

Mes yeux se ferment.

« Saïn… »

Sa voix, très tendre, semble auréoler de lumière un visage transcendé par ce sentiment auquel je n’ai jamais pu donner un nom. Quelque se brise en moi.

« Oui… Kent ? »

Tout se brise en moi !

Est-ce moi, ce corps qui s’agrippe à lui !

« Je vous en prie… je vous en conjure… aidez-moi… aidez-moi ! »

Mes sanglots se brisent sur les rochers avec mes larmes ! Je serre de toutes mes forces ce corps envoyé pour me sauver, cette âme descendue du ciel pour moi. Dans un éclat de lumière céleste, je vois comme le visage d’un ange se pencher sur moi avec ce triste sourire arc-en-ciel !

« Saïn… pour une seule fois… pour cette seule fois… permettez-moi d’être égoïste… permettez-moi… d’être… avec vous ! »

Il me regarde, toujours baigné de cette lumière qui appelle mon cœur couvert de sang. Le temps du vol d’un ange, des ailes d’un espoir mystérieusement beau brillent en mon âme dans ce visage, et je sens des lèvres se joindre aux miennes…

Son corps parcoure le mien, et je dévore le sien dans un élan de besoin, un élan d’amour.

Dans notre envol nous avions atteint le ciel, aujourd’hui nous irons nous promener au paradis où le monde entier a une couleur de miracle…

« Saïn… »

Pour une seule fois… une unique fois… permettez-moi…

…d’être assez égoïste pour vous aimer…

Quand la nuit brille des étoiles de la vie qui viennent d’apparaître en nous.

 

 

 

*

 

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